Il faut pardonner. Je veux œuvrer pour la paix, et pour cela il faut que je commence par moi: je dois tirer un trait sur le passé. Si je ne parviens pas à oublier, je ne peux pas agir en faveur de la paix pour les autres.
Godfroy Kasai (36) vit dans le 7e arrondissement de Bangui en République centrafricaine (RCA). Chrétien pratiquant, il est le rapporteur d’un comité de paix local (CPL) fondé par Conciliation Resources afin d’apaiser les tensions communautaires.
Godfroy s’est engagé au sein du CPL après qu’un pasteur de sa congrégation lui a parlé de la création d’un de ces comités dans son arrondissement. À l’époque, il travaillait avec des groupes de femmes locaux.
J’ai dit que j’étais disponible pour travailler main dans la main avec eux. Quand le pasteur m’a dit que le CPL serait composé de musulmans, de protestants et de catholiques, je me suis dit que c’était peut-être l’occasion de sortir de cette impasse.
Le conflit en RCA a éclaté lorsqu’une coalition rebelle baptisée Seleka a pris les armes contre le gouvernement et a renversé le président François Bozizé en mars 2013. Depuis l’élection d’un nouveau président en février 2016, la République centrafricaine connaît une paix fragile. La visite en novembre 2015 du pape François délivrant un message de paix et de réconciliation a remonté le moral des habitants.
Godfroy lui-même a été victime de la Seleka.
Ils m’ont pillé à trois reprises, mais je leur ai pardonné.C’est ce qui arrive dans les guerres, il y a toujours des pillages, il y a toujours des viols.Il faut pardonner. Je veux œuvrer pour la paix, et pour cela il faut que je commence par moi: je dois tirer un trait sur le passé.Si je ne parviens pas à oublier, je ne peux pas agir en faveur de la paix pour les autres.
Les rebelles Seleka se sont livrés au pillage et au viol de très nombreux civils non armés, provoquant des représailles de la part des anti-Balaka (signifiant 'invincible' en sango); ces milices chrétiennes se sont alors vengées à coup de couteaux et de machettes. Godfroy décrit la détérioration de la sécurité dans son arrondissement avant la création des comités de paix locaux:
Le 7e arrondissement héberge la plus grande base armée du pays. Durant ces évènements, les Seleka se sont emparés de ce camp pour en faire leur base. Envahi par les Seleka, notre arrondissement est devenu le théâtre de violences, de viols et de pillages. De nombreux habitants se sont réfugiés en République du Congo, tout le monde vivait dans la peur.
Le conflit en République centrafricaine est généralement présenté à tort comme une guerre de religion entre musulmans et chrétiens, alors qu’il trouve ses véritables racines dans la très grande pauvreté, la privation des droits et le sous-développement, tous entretenus par des décennies de mauvaise gouvernance et d’instabilité chronique.
Le pays compte sept comités de paix locaux: cinq dans la capitale et deux dans d’autres préfectures. Malgré les défis posés par une situation sécuritaire actuelle très volatile, Godfroy estime que la création des CPL a contribué à faire renaître l’espoir et à réconcilier des communautés divisées.
En raison de notre peur des Seleka, qui sont majoritairement musulmans, la confiance entre les chrétiens et les musulmans était brisée. Je me souviens d’un imam qui se cachait à l’époque. Je l’ai persuadé de rejoindre notre comité de paix. Conciliation Resources a joué un très grand rôle dans l’augmentation de la médiation au sein de notre communauté, parce que les musulmans et les chrétiens peuvent vivre à nouveau ensemble.
Et de citer un très bel exemple de réconciliation, où un comité de paix local a aidé à réduire les tensions entre les anti-Balaka et la population locale de Wangou.
Lorsque les anti-Balaka ont brûlé un village à Wangou, les villageois ont refusé leur présence à Wangou, qui est le quartier le plus densément peuplé du 7e arrondissement. Donc nous avons mené une intervention avec les victimes et les anti-Balaka. En Afrique, manger est un acte de pardon, un acte d’amour. Nous sommes parvenus à réconcilier les deux groupes par l’intermédiaire d’un projet mené par le comité de paix local où nous pouvions nous rencontrer et partager un repas. C’est là que je me suis rendu compte que les gens étaient prêts à pardonner. Même ceux dont les biens avaient été volés ont accepté de venir et ont accueilli ceux qui leur avaient fait du mal. Si nous n’avions pas été là pour mettre en œuvre ce processus, il y aurait eu des morts.
Le CPL a également monté un autre projet qui permet aux jeunes musulmans et chrétiens de travailler ensemble.
Ce projet est né du raisonnement suivant: si les jeunes ne trouvent pas de travail, il suffit d’un tout petit peu de tension pour qu’ils s’en emparent et l’alimentent, et que la situation s’embrase. Donc nous avons aidé ces jeunes au chômage afin de les contenir. Autrement, s’il y a une crise ce seront ces jeunes qui y prendront part. Par contre s’ils trouvent du travail, ils seront à même de prendre leur vie en main, de ne pas s’impliquer en politique et donc de ne pas se faire manipuler.
Le comité de paix du septième arrondissement est composé de 12 personnes. Selon Godfroy, malgré leurs différences religieuses, il n’y a pas de conflit entre les membres.
Quand des propositions sont faites et des idées exprimées, nous en discutons dans un esprit de respect mutuel.
Les chrétiens de l’arrondissement se sont même regroupés pour aider à reconstruire une mosquée, y compris les jeunes qui avaient participé à sa destruction. Godfroy dit avoir été bouleversé par le fait qu’il n’y a plus une seule mosquée debout dans son arrondissement.
Nous avons donc lancé un appel aux églises et quelques-unes nous aident à collecter des fonds. Nous avons également bénéficié de la générosité de musulmans comme de chrétiens. Et même si certains continuent de me dire 'ce que vous construisez va être encore détruit', je pense que c’est important de faire quelque chose. La vue de cette mosquée en construction me remplit de joie.
Les comités de paix locaux ont été créés dans le cadre du projet 'Soutien au dialogue et à la consolidation de la paix communautaires en RCA', financé par l’Instrument de stabilité (rebaptisé 'Instrument contribuant à la stabilité et à la paix') de l’Union européenne.