En août 2014, le mari d’Orphelia est tombé malade. Certes, elle avait entendu parler d’Ebola à la radio, mais peu de gens dans sa communauté croyaient véritablement à son existence. Jamais une telle maladie n’avait atteint les communautés frontalières reculées dans le comté de Nimba au Libéria.
Orphelia a soigné son mari chez elle, mais l’état de ce dernier s’est très rapidement dégradé, et au bout de quelques jours, son enfant et elle ont commencé à se sentir mal. Une semaine plus tard, après s’être rendus au dispensaire de Karnplay, ils ont été tous les trois transférés dans une unité de soins d’Ebola où leur contamination par le virus a été confirmée. En deux jours, la communauté tout entière de Camp Number 8 a été placée sous quarantaine.Orphelia s’est rétablie progressivement, contrairement à son mari et son fils qui sont décédés.
Une fois totalement remise et autorisée à quitter l’unité de traitement d’Ebola, Orphelia a été stigmatisée par sa communauté et s’est retrouvée dans l’incapacité de rentrer chez elle à Camp Number 8.
Lorsque nous sommes tombés malades, les gens ont pris conscience pour la première fois de la réalité de la maladie. J’avais peur de rentrer chez moi... Ils pensaient que j’étais dangereuse, que je les contaminerais. Il me jugeait responsable de ce qui était arrivé.
Une communauté face à la mise en quarantaine d’urgence
Camp Number 8 a été placée en quarantaine pendant près de trois semaines: une période extrêmement stressante pour l’ensemble de la communauté qui juge Orphelia responsable. Avertie à la dernière minute de la mise en quarantaine, la communauté n’a absolument pas eu le temps de s’y préparer; les provisions sont rapidement venues à manquer.
En outre, les autorités sanitaires locales ont ordonné l’abattage de tout le bétail à Camp Number 8, pensant à tort qu’il était la source du virus. Pour couronner le tout, les habitants ont découvert plus tard que la majeure partie de leur récolte avait été volée durant les trois semaines de leur quarantaine.
Orphelia a été contrainte d’aller vivre chez son frère à Yomley où la communauté, ignorant tout de sa maladie, l’a chaleureusement accueillie. La nouvelle a cependant fini par se savoir. Orphelia et son frère se sont retrouvés ostracisés et la cible d’habitants en colère.
Rentrer chez soi sans honte
Malgré l’ampleur des mesures nationales et internationales, nombreuses sont les stratégies de lutte contre Ebola qui n’ont pas atteint les communautés vulnérables et rurales vivant dans les zones frontalières des pays touchés par l’épidémie.
Tout au long de la crise, Camp Number 8, situé non loin de la frontière libérienne avec la Côte d’Ivoire, n’a pas fait l’objet de campagne de sensibilisation au virus Ebola.
Grâce à son projet de 18 mois financé par l’Union européenne, intitulé Intervenir dans le conflit engendré par Ebola, Conciliation Resources permet aux initiatives communautaires baptisées 'plateformes de district pour le dialogue' (PDD) et aux communautés des zones frontalières du fleuve Mano de trouver une issue pacifique aux tensions engendrées ou attisées par Ebola.
En mars 2015, la PDD du comté de Nimba, située à 10 kilomètres à Loguatuo, a eu vent de l’histoire d’Orphelia et a décidé de tenter une médiation en faveur de son retour à Camp Number 8.
Elle y a tenu une série d’évènements d’information sur Ebola afin d’expliquer aux habitants qu’Orphelia n’était plus contagieuse. Elle a ensuite organisé et facilité le retour d’Orphelia chez elle.
Le défi de la réintégration
Cependant, la PDD de Loguato s’est vite rendu compte que la réintégration d’un survivant d’Ebola nécessitait plus qu’une campagne de sensibilisation et un appui au retour. Il était clair que les tensions, les divisions et la méfiance causées par le virus restaient vives, quand bien même l’épidémie avait cessé.
Ils [certains résidents] me regardaient différemment... Je n’avais pas le droit d’utiliser la pompe à eau, tout le monde refusait de m’aider avec mes cultures et les gens me provoquaient en me disant que j’avais tué mon mari et mon fils.
Les amis qui tentèrent de l’aider en lui donnant du riz et des provisions ont également été mis à l’écart.
Un processus de réconciliation à plus long terme était nécessaire pour résorber ces divisions communautaires, comme en prirent conscience les membres de la PDD de Loguatuo qui ont mis en place un espace de dialogue permanent entre Orphelia et la communauté.
Au fil du temps, la méfiance et la colère des habitants se sont estompées, laissant place progressivement à l’amitié, à la reconnaissance et à la solidarité. Autant que faire se peut, c’est un retour à la normale pour Orphelia.
Orphelia est bien plus qu’une survivante. Elle est, comme avant l’épidémie, une figure centrale de Camp Number 8, prenant part à tous les aspects de la vie sociale.
La communauté est à nouveau unie. Nous remercions la PDD de Loguatuo pour tout son travail au cours des neuf derniers mois.