Situées au centre d’une région tumultueuse, la République centrafricaine et son histoire mouvementée tendent à passer inaperçues.Écrit par des experts, l’ouvrage collectif Making sense of the Central African Republic analyse en profondeur l’instabilité du pays, l’histoire des rébellions et les différentes interventions internationales et régionales.
Ned Dalby, notre directeur des projets pour l’Afrique centrale et de l’Est, est l’auteur d’un chapitre intitulé: 'A Multifaceted Business: Diamonds in the Central African Republic'. En voici un extrait:
Ce chapitre traite de l’exploitation et du commerce des diamants en République centrafricaine (RCA) du point de vue des communautés minières rurales, du palais présidentiel et des chefs rebelles devenus chefs d’entreprises. La thèse avancée est que le marché du diamant illustre plusieurs caractéristiques profondément ancrées dans l’économie politique de la RCA contribuant à expliquer la situation actuelle du pays.
Pour des milliers de mineurs, creuser la terre à la recherche de diamants est un mode de vie éreintant qui façonne leur vision économique, sociale, culturelle et politique, y compris leur attitude envers l’État. Devant faire face au quotidien à la vénalité des fonctionnaires d’une part et au marché noir lucratif de l’autre, la majorité des mineurs décident de se tenir à l’écart de l’administration et d’opérer entièrement hors de la législation. Ceci est symptomatique d’un État, qui à force d’abuser de son pouvoir, est devenu un obstacle que ses citoyens s’efforcent d’éviter, voire de fuir totalement.
Conséquence: le trafic de diamants et ses réseaux de contrebande se sont développés pour s’étendre au Cameroun, à la République démocratique du Congo (RDC), au Tchad et au Soudan. Ce schéma reflète les liens commerciaux régionaux et transnationaux qui caractérisent l’économie centrafricaine.
Les parcours successifs des présidents centrafricains et leur gestion des diamants dans un but d’enrichissement personnel révèlent l’exploitation d’un secteur par une minorité de puissants au détriment de la majorité. De Bokassa, empereur autoproclamé, à François Bozizé, les « puissants » n’ont cessé de maximiser leurs profits, principalement en taxant lourdement les opérations minières des compagnies étrangères.
Cette tendance générale à sous-traiter la gestion et l’exploitation des ressources naturelles nationales à des ressortissants étrangers en échange de généreuses compensations est caractéristique des gouvernants en République centrafricaine et remonte à la colonisation. Avec une telle politique concessionnaire, il est d’autant plus difficile pour les entreprises et l’expertise locales de se développer.
Enfin, pour les entrepreneurs politiques de l’arrière-pays qui cherchent à s’implanter sur le marché politique, les diamants constituent l’une des rares monnaies d’échange contre argent et influence. La problématique des diamants offre ainsi le contraste saisissant entre, d’un côté la concentration des pouvoirs dans la capitale Bangui et, de l’autre, le vaste réseau de liens politiques et commerciaux qui couvre la région. C’est en partie grâce à ces contacts transfrontaliers que les chefs de la Seleka ont pu mettre en place une rébellion digne de ce nom.
En République centrafricaine, les diamants sont désormais étroitement liés aux questions de survie économique, de statut social et politique, de citoyenneté et de violence organisée. Par conséquent, s’intéresser à ces 'dangereuses petites pierres' (cf. De dangereuses petites pierres, les diamants en République centrafricaine, International Crisis Group, 2010) permet de mieux comprendre l’économie politique de ce pays.
La rébellion, un vrai business
Bien qu’ils ne puissent pas justifier à eux seuls de la montée de la rébellion en RCA, les diamants ont toutefois joué un rôle majeur dans celle qui a agité le nord-est du pays ces dix dernières années. L’emplacement géopolitique des zones diamantifères du nord-est, loin du pouvoir national centralisé à Bangui, en a fait une véritable manne pour les entrepreneurs politiques désireux de déclencher une rébellion.En outre, ces derniers ont su accumuler les ressources nécessaires (contacts d’affaires transnationaux, expertise technique) pour lancer leurs projets en partie grâce à l’extraction et au commerce de diamants. Comme l’explique un chef de la Seleka:
Lorsque nous avons démarré ce mouvement de sécession du Nord, nous avons rassemblé les communautés locales qui nous ont apporté leur soutien, mais cela n’était pas suffisant. Nous nous sommes mis progressivement au commerce de diamants, ce qui est devenu un secteur d’activités pour nous.
Haut responsable de la Seleka (Agger, 2014)