Le 22 juillet, les Ministres européens des Affaires étrangères ont décidé à l'unanimité d'ajouter la branche armée du Hezbollah sur leur liste des organisations terroristes. Si, de prime abord, l’objectif de l'UE est de maintenir le contact avec la branche politique du Hezbollah et de poursuivre l'aide humanitaire apportée aux réfugiés syriens au Liban, il reste encore à connaître les implications en termes de sanctions.

Cette décision pourrait entraîner une interdiction de voyager et un gel des biens. Elle engendre également une certaine incertitude sur la légalité des flux financiers en provenance de l'UE vers le Hezbollah.

La première question qui vient à l'esprit est de savoir comment l'UE va établir une distinction entre la branche socio-politique du Hezbollah et la branche armée désormais proscrite. La frontière entre les deux n’a jamais été clairement définie. Par exemple, comment l'UE va-t-elle déterminer ce qui représente une aide financière destinée à la branche politique du Hezbollah et non à la branche armée ? La décision de l'UE n'a pas apporté d’éléments de réponse à cette question.

Un instrument brutal

La proscription est un instrument brutal. Alors que ses partisans affirment qu’elle peut réduire ou limiter les activités des groupes extrémistes en les isolant et en endiguant leur soutien financier et politique, les artisans de la paix, comme l’ONG britannique Conciliation Resources, savent, d’après leur propre travail pratique sur l'engagement des groupes armés, que la proscription peut avoir l'effet inverse, à savoir, encourager l'extrémisme et la belligérance [en anglais].

Il est également beaucoup plus facile pour une organisation d’être placée sur une liste noire que d’en être retirée. En effet, le processus et les critères de radiation sont loin d'être clairs. Par ailleurs, la proscription peut entraver le soutien aux activités légitimes et engendrer une certaine confusion parmi les diplomates sur les contacts qui sont acceptables et ceux qui ne le sont pas.

S’il est souvent difficile et inconfortable de continuer à dialoguer avec des groupes qui ont recours à la violence, cela reste le plus souvent nécessaire pour mettre fin à la violence.

Le gouvernement britannique l’a appris directement durant les nombreuses années qu'il a passées à traiter avec l'IRA dans le but de changer la situation en Irlande du Nord. En revanche, cette inscription sur liste noire aura pour conséquence entre autres de réduire l'espace de dialogue au Liban et au Moyen-Orient.

Préjudiciable vis-à-vis des perspectives d'engagement politique

Cette décision peut affecter la crédibilité et le rôle de l’UE au Liban, où celle-ci représente un bailleur de fonds et un partisan importants des activités de consolidation de la paix. Avant le vote final, le gouvernement libanais, qui reconnaît le Hezbollah comme étant « une partie essentielle de la société libanaise » [en anglais], avait conseillé à l'UE de ne pas placer le groupe dans sa liste noire.

Ce choix va également engendrer de plus grands risques pour les tiers [en anglais], dont les ONG travaillant dans la consolidation de la paix, qui doivent atteindre toutes les parties d’un conflit afin de favoriser le dialogue.

La liste risque par ailleurs d'avoir un impact significatif sur la politique intérieure du Liban et ses tentatives, déjà fragiles, de consolider la paix et de favoriser la réconciliation [en anglais].

Si l’élément principal qui a entraîné la proscription publique du Hezbollah a été le bombardement d'un bus de touristes israéliens en Bulgarie, la décision de l'UE a été au moins en partie motivée par la crise actuelle en Syrie et le soutien du Hezbollah au président syrien Bachar al-Assad. On ignore si elle va dissuader l'implication du Hezbollah en Syrie, mais elle compliquera certainement la tache de consolidation de la paix chez le voisin libanais.

À ce jour, la politique européenne de maintenir ouverts les canaux de communication au Liban a permis de jouer un rôle proactif dans la promotion des réformes politiques, le développement social et la réconciliation dans le pays. Le développement actuel des faits est décevant pour les perspectives de paix dans la région. Les possibilités de dialogue devraient plutôt être encouragées, surtout à un moment où le Liban semble être de plus en plus impliqué dans la situation en Syrie.

****

David Newton est Directeur Politique, Pratique et Communication de Conciliation Resources

/ENDS

Notes aux rédacteurs

En 2012, Conciliation Resources a publié le N° 24 d’Accord, intitulé : « Reconciliation, reform and resilience: Positive peace for Lebanon » qui inclut un article sur la politique de l'UE au Liban et la relation du Hezbollah avec la Syrie [tous en Anglais].
 
Grâce à notre travail d'analyse des conflits, nous cherchons également à partager avec les décideurs politiques et autres acteurs impliqués dans la consolidation de la paix ce que nous apprenons, notamment sur l'importance de s'impliquer avec les groupes armés [en Anglais].

Conciliation Resources est une organisation indépendante, basée au Royaume-Uni et spécialisée dans la consolidation de la paix, qui travaille avec les populations touchées par les conflits afin de prévenir la violence et consolider la paix. Depuis 1996, CR aide les communautés touchées par les conflits en leur fournissant des conseils, un soutien et des ressources pratiques. En outre, CR fait profiter aux décideurs gouvernementaux et autres intervenants les enseignements tirés de ses expériences pour mettre fin au conflit. Et ce, afin d’améliorer les politiques et la pratique dans le monde.

 
CR concentre ses efforts sur sept contextes de conflits principaux : la Colombie, l’Afrique de l'Est et l’Afrique centrale, Fidji, le Cachemire, les Philippines, le Caucase du Sud et l’Afrique de l'Ouest. CR partage aussi son expérience via Accord : une étude internationale des initiatives de paix [en Anglais], une publication qui analyse la consolidation de la paix.