Anaiz Funosas est fondatrice et présidente du mouvement civil pour la paix, Bake Bidea - Le chemin de la paix (Pays Basque de France). Depuis la déclaration d’Aiete en 2011, elle est initiatrice de principaux rendez-vous relatifs au processus de Paix en Pays Basque. Elle est aussi membre de la délégation du Pays Basque en charge des discussions avec le ministère français de la justice sur le sort des prisonniers politiques basques. A l'occasion du Forum à Bayonne le 6-8 avril 2018, Anaiz nous explique le rôle important de la société civile dans le processus de paix.
1. Le Forum qui aura lieu le 6-8 avril 2018 - de quoi s'agit-il? Qu'est-ce qui se passe ces jours-là et quel est l'objectif?
Bake Bidea est un mouvement civil qui a vu le jour au lendemain de la Conférence Internationale d’Aiete. Depuis sa création en octobre 2012, ce mouvement a été le moteur de l’activation et participation de la société civile et de ses élus dans le processus de paix.
Le 6-7-8 avril prochain nous co-organisons avec les Artisans de la Paix un forum dans le cadre du premier ‘anniversaire’ du désarmement. Ce week-end a pour objectif de rappeler les éléments qui ont permis le désarmement civil de l’ETA, mais surtout et avant tout de faire un bilan du processus de paix et se poser sur la question des souffrances et des victimes, leur reconnaissance et sur l’espace de travail qui s’est mis en place avec le ministère de la justice française depuis le 10 juillet 2017. Puis réfléchir sur le chemin qui reste à parcourir.
Le 8 avril, jour des un an du désarmement, nous inaugurerons une statue, Arbolaren Egia (La vérité de l’arbre).
Dans la construction du processus de paix, l’étape majeure du désarmement a mis en évidence des souffrances vécues par chacun(e) et ouvert de nouvelles perspectives vers la construction d’un avenir commun.
Parce qu’il n’est pas toujours évident de transcrire ces ressentis et ces sensations par des mots, parce que ces derniers peuvent limiter ou trahir le vécu, ou simplement parce que d’autres voies permettent de les exprimer, le sculpteur Koldobika Jauregi a proposé de symboliser cette étape par le biais de cette œuvre. On peut y voir la métaphore de la floraison de la paix par l’enterrement de la Hache. Bake Bidea, en accord avec la Mairie, a sollicité Koldobika Jauregi afin que son œuvre soit installée à Bayonne. Cette œuvre appartiendra ainsi à tous et toutes, à l’image de la réussite du désarmement.
ll nous a paru important de laisser une trace symbolique du chemin parcouru par la société civile et d’en assurer la transmission aux générations futures par le biais de cette sculpture.
2. Quel role la société civile a t'elle joué dans le désarmement depuis la conférence de Aiete en 2011?
Au Pays Basque Nord (français) elle a été le moteur de toutes les initiatives, et prises de conscience, car elle est composée d’hommes et de femmes, d’élus de toutes tendances politiques et d’origines sociales. Je pense que nous avons compris combien le courage politique et la prise de risques étaient importants pour le développement du processus de paix. C’est pour cela que notre engagement auprès des Artisans de la Paix pour mener le désarmement civil de l’ETA a été sans faille.
Depuis Aiete, la mobilisation est de plus en plus forte et plurielle au Pays Basque Nord. Une feuille de route sur la résolution des conséquences du conflit est construite et accordée entre les représentants politiques sous l’égide du Groupe internationale de contact (Déclaration de Bayonne 24 octobre 2014). Le temps jouant contre le processus de paix, et refusant la résignation, la société civile a décidé de prendre les choses en main. En automne 2016, trois personnalités reconnus de la société civile, Jean-Noel Etcheverry, Michel Berhocoirigoin et Michel Tubiana sont entrés en contact avec l’organisation armé ETA. Suite à leurs échanges, l’organisation armé ETA accepte de déléguer la responsabilité politique du désarmement de son arsenal à ces trois personnes, avec pour seuls conditions, que cela serve à ouvrir la voie d’une résolution à l’ensemble des conséquences et que les choses se fassent dans un esprit gagnant-gagnant.
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Lors d’une première mise hors service de 15 pourcent de l’arsenal de l’organisation de l’ETA, la police française intervient et arrête cinq représentants de la société civile. Suite à ces arrestations, la société civile et ses élus ont organisé leur soutien et ont affirmé qu’ils prendraient le relai de leur démarche ! Les cinq personnes ont été libérés et en quatre mois le désarmement s’est fait. Un désarmement construit avec les partis politiques, les institutions et la société civile. Le 8 avril, la localisation des caches d’armes a été remise par l’intermédiaire de la Commission Internationale de Vérification aux autorités françaises. Au même moment près de 180 personnes issues de la société civile ont supervisé et ont observé sur site que c’était bien les autorités françaises qui ont récupéré l’arsenal. Une démarche inédite!
3. Quel sont les questions et les défis restants pour le processus de paix, et quels sont les défis pour la société civile qui le soutient?
Le désarmement civil sans contrepartie (en l’absence d’un accord de paix) que nous avons construit au Pays Basque, nous a amené à comprendre qu’il est maintenant de notre ressort de trouver une issue aux questions des prisonniers, des exilés et de toutes les victimes. C’est de ne pas tomber dans la guerre des récits et construire de réelles conditions qui nous permettront de comprendre le passé ou les passés.
4. Quel genre de soutient de l'extérieure a été le plus utile à la société civile?
Le soutient de représentants internationaux tels que Kofi Annan, Jonathan Powell et bien d’autres. Mais du point de vue de Bake Bidea, l’accompagnement que nous bénéficions de structures telles que Berghof Foundation ou encore Conciliation Resources, a été et est fondamental dans la construction de notre propre processus et celle de notre participation.
5. Et vous, personnellement, qu'est-ce que vous avez appris ces dernières années au cours du processus de paix?
Tout ! Le chemin que nous avons parcouru m’a permis de comprendre combien une société civile plurielle et active est la meilleure des garanties pour que les choses aboutissent. J’ai appris aussi que le refus des Etats à construire ce processus de paix n’est pas une fatalité, mais un obstacle. Et un obstacle ça se contourne!
6. Quand vous regardez vers l'avenir, êtes-vous pleine d'espoir / quelles sont les opportunités pour le processus de paix?
Oui j’ai espoir car je crois en notre volonté de mener ce processus de paix jusqu’au bout.
Le processus a connu un nouvel élan depuis le désarmement, un espace de dialogue avec le ministère de la justice française est engagé. Au Pays Basque Sud (espagnol) le dialogue entre les partis politiques semble se remettre en place et sa société civile en est motrice. Tous les ingrédients sont là pour renverser enfin les logiques de blocages.
Pour une analyse du processus de désarmement, voir le rapport publié par Berghof Foundation en septembre 2017 (par le Forum Permanent Social): “Le Modèle Basque de Désarmement. Leçons tirées d’un processus innovateur” (en anglais, basque, espagnol et français).