Janet Adama Mohammed, directrice du programme en Afrique de l'Ouest, Conciliation Resources
 
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J’observe avec intérêt l’actualité de la Côte d'Ivoire tout en restant sceptique. Je m’y suis rendue le mois dernier. L'ambiance au sein des communautés est assez bonne de manière générale, mais on s’aperçoit qu’il y  a d’énormes tensions, de plus en plus manifestes, si on prend le temps de s’y pencher un peu. J’ai voyagé en Afrique de l'Ouest pour recueillir le point de vue des populations locales sur les causes des conflits et les possibilités d’instauration de la paix et de la sécurité.
 
Il est impossible de ne pas remarquer la forte présence militaire armée dans les rues de la Côte d'Ivoire. Les FRCI (armée nationale) forment un contraste frappant par rapport aux tentatives de la population de maintenir un sentiment de normalité dans les marchés et les écoles.
 
On ne peut pas sous-estimer l'impact déstabilisant de ces hommes imprévisibles avec des fusils. Les communautés et même certains préfets régionaux (représentants de l'administration du gouvernement) m'ont avoué les craindre. En effet, ces hommes armés ne sont pas tous correctement formés. Il leur manque donc une compréhension claire des normes attendues de l’armée d’un État et que celle-ci se doit de respecter.

Les tensions se créent, les rumeurs courent

La Côte d'Ivoire est un pays magnifique. Les habitants sont chaleureux mais beaucoup sont traumatisés par la ségrégation et les anciens conflits. On se méfie les uns des autres. La mise en place, au niveau national, d'une commission de vérité et de réconciliation doit encore porter ses fruits dans la capitale Abidjan, et encore plus ailleurs.
 
Les gens s’inquiètent de la hausse des prix et du système judiciaire. Ces thèmes sont revenus de manière récurrente durant mon voyage. Nombreux sont ceux qui doutent du fonctionnement de la justice, au niveau local, mais aussi international, au vu de l'arrestation fin 2011 par la CPI de l'ancien président Laurent Gbagbo pour crimes contre l'humanité. Pourquoi ne pouvait-il pas être jugé dans son pays d’origine et pourquoi lui et d'autres accusés sont maintenus si longtemps sans être jugés, se demande-t-on ?

La situation des anciens miliciens est critique dans ce pays. Qu’ils soient dans la brousse ou en exil, ils se sentent menacés et rejettent leur colère sur les communautés en attaquant et en tuant des habitants. Certains croient encore que Laurent Gbagbo reviendra diriger le pays et qu’ils seront libres.

Ancien membre de la milice

On constate aussi un mécontentement face à ce qui est perçu comme des histoires montées de toutes pièces et aux promesses creuses de l’élite politique et judiciaire. Au lieu d'enrichir la société avec un processus d'échange d'informations et de débat sain, le gouvernement et l'opposition se querellent et favorisent la propagation de mensonges, m’a-t-on confié. La peur limite la participation politique et la démocratie ne peut pas s’imposer.
Parallèlement, plutôt que de considérer les médias comme un exutoire de leurs inquiétudes et de leurs aspirations, les populations s’en méfient en les accusant de concocter des histoires et de semer la discorde.

Écouter les préoccupations des populations pour jeter les bases de la paix

Dans ce contexte, le programme de CR en Afrique de l'Ouest consiste essentiellement à identifier les principaux différends et les idées des habitants pour y remédier. Grâce à ces activités, CR souhaite s’appuyer sur plus de 15 années d'expérience dans la région et sur le travail développé par le projet People’s Peacemaking Perspectives, financé par l'UE.
 
La nécessité d'un dialogue se pose clairement. Ainsi, en collaboration avec ses partenaires locaux, CR offrira plus d'opportunités pour ces échanges, pour commencer.
Dans les communautés que j'ai visitées, les gens ne voulaient pas parler tout d’abord. La peur était très présente. Mais après avoir travaillé avec des préfets locaux dignes de confiance à la création d’un espace sûr de dialogue, les habitants ont bien vu que nous étions prêts à travailler avec toutes les parties et ont commencé à s'ouvrir face-à-face.

Vous avez un problème ? Je vous écoute. 

Préfet de Soubré, à l’ouverture d’une session de dialogue communautaire à Buyo

Comme m’a déclaré ce chef de communauté sur son propre travail dans la région : « C’est par de petites actions que l’on peut changer les choses et que l’on peut amener les gens à croire à des changements. » Prenez l’exemple de nos séances de dialogue à Buyo. Au début, les habitants hésitaient à parler. Mais il a suffi que quelqu'un mette de la musique qui bouge en fond sonore pour que l'ambiance change du tout au tout. Tout le monde avait son opinion. Des petits changements peuvent donc faire toute la différence.
 
Les communautés devraient avoir leur mot à dire sur la façon dont ils sont gouvernés. Des ajustements modestes peuvent entraîner un vrai regain de confiance. L'histoire montre que la méfiance engendre la peur, et la peur favorise la violence. Mais le fait d’apprendre à discuter des points de discorde représente un moyen probant et efficace d’entretenir la paix.
 
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