Nyeko Caesar Poblicks

Je me suis rendu à Lakounga, une banlieue située au sud de Bangui, République centrafricaine, qui a été engloutie par cinq jours de violence aveugle au cours desquels au moins 1 000 personnes ont trouvé la mort le mois dernier. Des communautés qui coexistent paisiblement depuis plusieurs générations se méfient les unes des autres et nombre d’entre elles sont victimes d’attaques sectaires. Malgré le déploiement sur le terrain de soldats français et de la Mission internationale de soutien à la Centrafrique (MISCA), quelques mosquées ont été brûlées, des magasins et des maisons appartenant à des musulmans sont pillés par des foules furieuses qui les voient comme des collaborateurs de la Séléka, et les non-musulmans sont souvent ciblés par des miliciens de la Séléka qui les accusent d’être anti-balaka et veulent se venger. Des centaines de milliers de personnes se voient contraintes de fuir leur maison et de rejoindre les populations déplacées. 

Les médias internationaux présentent le conflit actuel comme un conflit entre musulmans et chrétiens, mais la réalité est plus complexe que cela. 

La Séléka est une coalition de groupes armés qui ont pris le pouvoir en mars 2013. Ses membres sont souvent en conflit avec des groupes « anti-balaka » (« à l’épreuve des machettes ») formés au départ comme groupes communautaires d’autodéfense. 

Les membres de la Séléka ont beau être en majorité musulmans, ils ne le sont pas tous, et ce qui est certain, c’est que tous les musulmans ne soutiennent pas la Séléka. De même, les groupes anti-balaka sont divers, et englobent des chrétiens, des animistes, des groupes musulmans et quelques ex-Séléka. De fait, c’est la vie qu’ont connue les gens en RCA, leur inclusion ou exclusion politiques et sociales, et leur expérience du conflit qui définissent en grande partie leur affiliation. De fait, de nombreuses personnes, y compris des leaders musulmans et chrétiens très en vue, tentent de se distancier du conflit et de trouver une résolution pacifique. 

Cependant, de nombreux groupes anti-balaka tendent à considérer que tous les musulmans font partie de la Séléka, et la Séléka considère souvent que tous les chrétiens sont des membres de groupes anti-balaka, ce qui explique pourquoi le conflit a pris l’apparence d’une guerre de religion

Les anti-balaka ne semblent pas avoir une hiérarchie centrale et claire, ce qui fait qu’il est très difficile de traiter avec eux dans le but de négocier une solution pour obtenir la paix. Les leaders chrétiens n’ont eu de cesse de préconiser une solution pacifique à la crise, un accord avec les musulmans et la réconciliation, exactement la position contraire de celle adoptée par les anti-balaka. 

À Lakounga, zone considérée comme le premier peuplement de l’histoire de Bangui, des leaders chrétiens et musulmans se réunissent discrètement depuis quelques jours, depuis que la crise a éclaté ; ils ont pris une résolution ferme : « Nous avons toujours vécu ensemble et ne voulons pas de violence dans nos rues ». Pour prouver leur détermination, le 10 décembre, au beau milieu de la violence, l’un des prêtres catholiques de la paroisse et le chef de quartier ont fait face à un groupe de jeunes qui étaient venus du « quartier Bruxelles » proche dans l’intention d’attaquer des magasins appartenant à des musulmans. Pendant qu’ils leur parlaient, un petit nombre de voisins sortis de maisons du quartier se sont joints à la discussion. Les jeunes ont fini par renoncer à leur plan et ont quitté Lakounga dans le calme. 

Au cours des jours suivants, tandis que la violence se poursuivait sans relâche dans nombre de quartiers de Bangui, les leaders locaux de Lakounga, y compris les prêtres et les imams, ont planifié une série d’activités en faveur de la paix. Une ONG locale a placé aux coins des rues des affiches faisant figurer l’archevêque Dieudonné Nzapalainga en train de parler avec l’un des imams.

Le message est on ne peut plus clair : « Chrétiens et musulmans, le même sang, la même vie, le même pays ». 

Les 19 et 20 décembre il y a eu des témoignages inquiétants selon lesquels des anti-balaka avaient attaqué certains des quartiers nord de Bangui, ciblant des musulmans ordinaires. Contre toute attente, les gangs ont eu l’audace d’avancer plus vers le sud, vers le centre de Bangui. Des coups de feu ont retenti à proximité d’une église où s’étaient réunis des chrétiens et des musulmans. Il s’agissait d’une présentation médiatique coordonnée par Conciliation Resources et le Conseil danois pour les réfugiés afin d’échanger des connaissances sur la manière dont les leaders en Ouganda cherchaient à reconstruire la confiance entre des communautés divisées. Les participants musulmans ont été frappés par la peur. Les chrétiens ont tenté de les rassurer, en leur disant : « Ne vous inquiétez pas, restez avec nous, nous sommes ici pour vous protéger ». Quelqu’un a passé un coup de fil urgent à l’ambassade française pour l’informer de la situation et lui demander une protection. Après une demi-heure tendue, les armes se sont tues et l’atelier s’est poursuivi. À midi, la réunion s’est terminée, et les participants musulmans et chrétiens ont partagé des boissons fraîches et des casse-croûte avant de partir. 

« Nous sommes déterminés à vivre ensemble dans la paix » – tel a été une fois de plus le principal message diffusé durant la messe de l’Épiphanie le dimanche 5 janvier 2014, donnée à la paroisse des Martyres ougandais à Lakounga par l’archevêque Nzapalainga. Parmi les invités figuraient les trois imams de la mosquée du quartier. À la fin du service, ils se sont entretenus avec l’archevêque, le prêtre de la paroisse et certains des leaders du conseil de la paroisse pour discuter de la situation avec Conciliation Resources, une ONG internationale d’établissement de la paix qui travaille avec les leaders religieux pour parvenir aux communautés en établissant un cadre de dialogue et de renforcement des capacités en vue d’activités de pacification. 

À Lakounga il n’y a pas de personnes déplacées, personne n’a été tué ni blessé, et aucun bien n’a été attaqué jusqu’ici. 

Il existe un mouvement communautaire discret en faveur de la paix entre les musulmans et les chrétiens. « Pour nous, la sécurité ne réside pas dans les armes, mais dans de bons rapports et dans l’unité parmi les voisins », a déclaré l’un des résidents. Les groupes de femmes – musulmanes et chrétiennes – ont rencontré l’archevêque et Conciliation Resources à la résidence de l’archevêque afin d’identifier les leaders des anti-balaka et de leur parler avant toute réunion publique. Ils ont parlé des exemples de Lakounga dans tout Bangui et ont commencé à examiner les différentes façons d’étendre ces initiatives dans les zones rurales. Les leaders des deux communautés planifient encore quelques autres activités pour établir la paix. 

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Nyeko Caesar Poblicks est responsable des projets pour le Programme d’Afrique centrale et orientale de Conciliation Resources. Cet article a été publié à l'origine en anglais sous le titre "Central African Republic: Muslims and Christians in Bangui at peace amidst war" sur insightonconflict.org