Kennedy Tumutegyereize et Nicolas Tillon travaillent sur le Programme Afrique de l’Est et centrale de Conciliation Resources. Une première version de cet article a été publiée par African Arguments le 15 mars 2013.

***

Résumé

Trois jours ont suffi à la coalition Seleka et au gouvernement de la République centrafricaine (RCA) pour conclure un accord de paix, avec la médiation de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC), dans la capitale gabonaise Libreville. À la différence de la plupart des pourparlers de paix de notre époque, dans le cadre desquels les protagonistes dialoguent et prennent le temps de mener des consultations, dans ce cas, les quatre présidents qui avaient proposé les pourparlers – Idriss Déby (Tchad), Sessou Nguesso (République du Congo), Ali Bongo (Gabon), et Teodoro Obiang-Nguema (Guinée équatoriale) – ont eu tôt fait de rédiger un accord de paix. 

Les négociations indirectes ont débuté le 8 janvier 2013 et se sont conclues en deux jours. Le troisième jour, un accord de paix qui avait des implications de grande portée sur le plan politique, militaire et de la sécurité a été présenté aux parties, puis signé.

Dans la capitale, Bangui, cet accord de paix a donné lieu à un semblant de normalité. Cependant, à la mi-février, soit quelques semaines après la conclusion des pourparlers de paix, la mise en œuvre de l’accord commençait déjà à se dégrader et c’est un calme précaire qui régnait sur la capitale, Bangui. 

Tout indique qu’une reprise des hostilités sera le résultat le plus probable, à moins que les parties à l’accord de Libreville de janvier 2013, leurs garants et la société civile centrafricaine ne renouvellent leur engagement en faveur de la recherche d’une solution durable aux problèmes politiques de la RCA, relancent le dialogue sur les questions en suspens et élaborent un plan de mise en œuvre clair. 

Ces efforts doivent englober : 

1. des représentants de tous les segments de la population

2. un engagement en faveur d’un processus de paix à plus long terme 

3. la mise en place d’un mécanisme de surveillance indépendant pour suivre les progrès et convenir d’une voie conjointe et pacifique vers le relèvement. 

Toile de Fond

Entre le 8 et 20 décembre 2008, un Dialogue positif inclusif (DPI) a eu lieu à Bangui, capitale de la République centrafricaine (RCA). Le DPI était vu par beaucoup comme l’aboutissement des efforts visant à mettre fin aux rébellions en RCA et donnait l’occasion à toutes les forces politiques de se mettre d’accord sur l’avenir du pays. Les présidents du Burundi et du Gabon se sont portés volontaires pour assurer la médiation en coulisse. 

Même si toutes les questions n’ont pas été abordées à la satisfaction de tous, la majorité des habitants de la RCA ont estimé que le DPI avait apporté une contribution considérable à la réduction du niveau de violence et à la formulation de l’ordre du jour pour les réformes à long terme.

Le précédent de 2008 de prise de décisions au moyen d’un dialogue (et d’un consensus) et la réintégration promise des rebelles dans la population civile, y compris le désarmement et les réformes du secteur de la sécurité, ont été considérés comme des mesures concrètes vers l’obtention d’une stabilité accrue dans le pays. 

L’échec du président François Bozize à mettre en œuvre les accords de paix a donné lieu à la reprise des activités des rebelles. La plus récente de ces initiatives est la coalition Seleka (qui signifie alliance en sango, la langue nationale de la RCA) qui, fin décembre 2012, avait déjà capturé 12 villes et se trouvait ainsi aux portes de Bangui. Son progrès n’a été interrompu que sous l’effet de la pression militaire et politique exercée par la Communauté économique des États de l’Afrique centrale (CEEAC).

La coalition Seleka se compose principalement de quatre groupes rebelles : l’Union des forces démocratiques pour le rassemblement (UFDR) ; la Convention des patriotes pour la justice et la paix (CPJP) ; la Convention patriotique du salut du Kodro (CPSK) et l’Union des forces républicaines (UFR). L’UFDR détient le principal pouvoir et son commandant Michel Djotodia est le chef de la Seleka.

Entre le milieu et la fin du mois de décembre, moment où l’avance des rebelles s’est intensifiée, la Mission pour la consolidation de la paix en République centrafricaine (MICOPAX), qui comptait jusque-là 400 soldats, a ajouté à ses effectifs 360 soldats issus de la Force multinationale de l’Afrique centrale (FOMAC) de la Communauté économique des États de l’Afrique centrale afin de protéger les civils de Bangui. L’Afrique du Sud a envoyé 400 soldats pour soutenir le président Bozize.

L’État français a refusé de soutenir le régime, mais a déployé des troupes supplémentaires, portant le nombre total de militaires français à 400, afin de protéger les citoyens et intérêts économiques français à Bangui. La CEEAC a organisé des pourparlers de paix dans la capitale gabonaise Libreville du 8 au 11 janvier 2013.

À Bangui, beaucoup de gens pensent que les pays voisins soutiennent la rébellion. Cette rhétorique a été utilisée à plusieurs reprises par le régime, peut-être pour justifier le progrès rapide des rebelles ou pour profiter d’une crainte commune d’« être envahis… par des hordes d’étrangers » (Marchal, 2010). La présence de groupes armés transfrontaliers, la circulation d’armes – en particulier depuis la chute de Gaddafi – dans la région et les frontières poreuses entre le Tchad, la RCA et le Soudan sont autant de facteurs qui contribuent à la violence dans la zone du nord et du nord-est du pays. 

Bien que tout ait été fait pour attirer l’attention (à juste titre) sur l’avance des rebelles vers Bangui et sur les exécutions commises dans les territoires soumis à leur contrôle, rares sont les rapports qui ont attiré l’attention sur la situation à Bangui.

À mesure que les rebelles s’approchaient de la capitale, les « Kokora », des milices privées locales, ont pris le contrôle du maintien de l’ordre et de la justice, et ont commencé à arrêter toute personne accusée de près ou de loin de soutenir les rebelles.

Pourparlers de paix de 2013 de Libreville

Quelques jours avant le début des pourparlers de paix, le président Bozize a invité des représentants des jeunes, des groupes de femmes, des ONG nationales, des membres du parlement et des fonctionnaires à sélectionner des représentants de la « société civile » pour assister aux pourparlers de paix. 

Le moment choisi – à peine quelques jours avant les pourparlers – et le faible nombre de places disponibles, en plus de l’attention médiatique suscitée par les pourparlers, ont provoqué la concurrence et la division parmi les organisations de la société civile. Le président Bozize a fini par choisir certains de ses lieutenants proches pour assister aux pourparlers en qualité de représentants de la société civile. La plupart des ONG ont décliné l’offre. 

Avant les pourparlers de Libreville, un certain nombre de délégations de premier plan se sont rendues à Bangui – y compris l’Union africaine et la CEAAC – pour prendre part à des discussions avec le président Bozize.

Ce qui s’est alors dégagé clairement, c’est la faiblesse militaire, politique et économique de Bozize. Il ne contrôlait que les zones à l’intérieur et en périphérie de la capitale Bangui. 

Les présidents du Tchad, du Congo-Brazzaville et du Gabon se sont réunis à Ndjamena, au Tchad, où un accord aurait été conclu. La plupart des analystes affirment que les dirigeants des trois pays voisins ont convaincu les autres membres de la CEEAC que si la coalition Seleka finissait par prendre le dessus, cela pourrait faire plonger la RCA et toute la région dans une instabilité accrue. Cela les a incités à envoyer des troupes supplémentaires. 

Les pourparlers de paix entre la coalition Seleka et le président Bozize étaient censés commencer officiellement le 8 janvier 2013. 

Cependant, du fait de problèmes logistiques et de (dés)organisation, aucune des délégations n’est arrivée à temps. 

Le 9 janvier, cinq délégations de la RCA se trouvaient à Libreville pour participer aux pourparlers de paix : la majorité présidentielle, la coalition Seleka, l’opposition démocratique, les groupes politico-militaires non combattants et la société civile. Le ministère des Affaires étrangères du Congo-Brazzaville et président du groupe de contact a inauguré la session durant laquelle Seleka a fait de la démission du président Bozize une condition préalable à tous pourparlers de paix. 

Dans l’après-midi, le groupe de contact, qui se composait de quatre chefs d’État (Gabon, République du Congo, Guinée équatoriale et Tchad) a rencontré chacune des délégations. Le 10 janvier, chaque groupe de la RCA a été prié de présenter ses problèmes au groupe de contact et aux représentants des autres gouvernements de la région, aux observateurs de l’ONU et aux « représentants » de la société civile de la RCA (qui englobaient à présent des assistants proches du président Bozize).

Sur la base des exigences émanant des divers groupes, les ministères des Affaires étrangères de la CEEAS ont rédigé un rapport relatif aux exigences des parties. À ce stade, des négociations-marathon en coulisse ont commencé. Le groupe de contact a rencontré le président Bozize, la coalition Seleka et les autres parties pour discuter de la gamme de possibilités. Plus tard le même jour, les ministres des Affaires étrangères ont présenté un document résumé de ce qui devait figurer dans l’accord de paix. 

Des experts de la CEEAC et de la commission de suivi de l’accord de Libreville de 2008 (qui avait pour ainsi dire été enterré, mais avait été réactivé aux seules fins du processus de négociation) ont rédigé le premier document de l’accord de paix.

Plus tard le même jour, les experts ont convoqué tous les participants pour leur expliquer la teneur de l’accord de paix. 

Après quelques modifications, deux protocoles-cadres ont été signés (Cessez-le-feu, Ouverture de couloirs humanitaires). Le troisième protocole étoffait les deux premiers. Le quatrième portait sur les questions politiques, dont les principaux éléments étaient la dissolution du gouvernement et la désignation d’un gouvernement d’unité nationale composé de représentants des cinq parties aux pourparlers de paix. 

Le président Bozize a accepté de ne pas présenter sa candidature à l’élection présidentielle après la fin de son mandat (2016), de dissoudre le parlement et d’organiser de nouvelles élections dans un délai de douze mois. Sur le plan de la sécurité, MICOPAX – la mission de maintien de la paix en RCA financée par l’UE – sera chargée de suivre le retrait de toutes les armées étrangères qui ne sont pas membres de la CEEAC, principalement le contingent sud-africain. 

Le 11 janvier, les parties aux pourparlers signaient les accords.

Des pourparlers de paix sans pourparlers

Les médiateurs et parties en conflit sont venus à Libreville à contrecœur et pour différentes raisons. Le gouvernement est venu assister aux pourparlers parce qu’il avait perdu la bataille militaire et que les rebelles se trouvaient à moins de 60 kilomètres de la capitale. Beaucoup pensaient que Bangui aurait été prise sans l’intervention de la CEEAC et de l’Afrique du Sud. 

Les rebelles, quant à eux, ne voulaient pas au départ participer aux pourparlers, puisqu’ils étaient en position de force. 

Par ailleurs, les membres de la coalition Seleka étaient divisés sur la question de savoir comment mettre fin au conflit, n’avaient pas de chaîne de commande unifiée et n’avaient jamais eu de vision politique commune pour le pays. Certains membres de Seleka étaient en faveur des pourparlers, tandis que d’autres refusaient d’y prendre part. 

La complexité et les contradictions internes de la coalition Seleka sont des aspects que la coalition elle-même a du mal à gérer, et qui étaient loin d’être clairs au moment des pourparlers de Libreville. 

Ces pourparlers, toutefois, avec l’accent mis sur les délais (trois jours de dialogue), la rédaction des accords, les initiatives de médiation formelles et informelles, n’ont guère laissé de place à cette réflexion. Il en a résulté une impression d’incertitude et de tension entre les différents éléments de la coalition, ce qui a encore compliqué le travail des médiateurs. 

Ce qui est clair, c’est que l’aile militaire de la coalition Seleka ne rend pas de comptes à son aile politique. Cela explique pourquoi, malgré l’accord de paix ou la signature du cessez-le-feu, certaines factions ont continué à capturer de nouveaux territoires. 

Les médiateurs et garants de l’accord de paix, mus par leurs propres intérêts et occupant des positions intérieures – c’est-à-dire le groupe de contact formé des quatre présidents – étaient en proie à de véritables dilemmes et préoccupations. Les conflits actuels dans cette région présentent presque toujours une forte dimension transfrontalière.

La plupart des groupes armés ont des réseaux qui s’étendent au-delà d’un pays, et Seleka n’est pas une exception. Le fait de permettre à la coalition Seleka d’obtenir le pouvoir mettrait en place un régime favorable à d’autres groupes rebelles dans la région, ce qui déclencherait une période d’instabilité et une évolution des alliances politiques, et démontrerait l’échec de la CEEAC à jouer un rôle stabilisateur en Afrique centrale. 

Conclusion

Le style de dialogue adopté a suscité la colère de tous les groupes qui sont venus de la RCA et s’attendaient à pouvoir mener un dialogue sur les questions clés qui ont entraîné une succession de rébellions dans leur pays : gouvernance centralisée, exclusion politique, échec persistant à mettre en œuvre les accords de paix antérieurs, manque de perspectives de développement, services publics médiocres et dynamique de conflits transfrontaliers.

Deux mois après la signature de l’accord de paix, tout indique que la reprise des hostilités va être le résultat le plus probable. 

Les pourparlers de paix sont un outil technique. Ils peuvent contribuer à la paix lorsqu’ils s’inscrivent dans un processus de paix à long terme et inclusif caractérisé par une appropriation locale et nationale, par la volonté politique des parties et par la bonne disposition à rendre des comptes. 

Les institutions régionales et internationales peuvent jouer un rôle dans la création de l’environnement propice au dialogue, mais ne peuvent pas remplacer un processus de paix inclusif. 

Ni la CEEAC ni les chefs d’État n’avaient le temps ni la volonté d’ouvrir des espaces propices au dialogue entre les diverses délégations. Comme l’a déclaré un participant de la société civile : « Nous avons consacré le peu de temps que nous avions à parler à la CEEAC et n’avons guère eu le temps de parler entre nous ». Un autre participant de la délégation gouvernementale a ajouté : « On nous a donné des documents brusquement, pour que nous les signions, sans nous donner le temps de réfléchir ou de nous concerter ».

La République centrafricaine a des antécédents d’accords de partage des pouvoirs et de dialogue politique. De fait, plusieurs accords de paix ont été conclus au cours des dix dernières années. Ce que ces dialogues ont en commun, ce sont les aspects suivants : accords de partage des pouvoir, promesse de démobilisation et de réintégration des combattants jamais pleinement mises en œuvre, et retour à la violence au bout de quelques mois. C’est précisément ce résultat qu’ont obtenu les pourparlers de Libreville. 

Ce qui est nouveau, c’est qu’il n’y a pas eu de temps pour les négociations – les participants à la réunion de Libreville ont conclu un accord sans le négocier.

Si imparfait qu’il soit, le fait que cet accord de paix ait été signé a engendré un cessez-le-feu et ouvert une opportunité de dialogue. C’est maintenant qu’il faut épauler le processus, même s’il est imparfait, au moyen d’une vision à long terme pour la consolidation de la paix.

Les parties au conflit, les puissances régionales et la société civile de l’Afrique centrale doivent renouveler leur engagement à la recherche d’une solution durable aux problèmes politiques en RCA et relancer le dialogue sur les questions en suspens. 

Un plan clair de mise en œuvre doit être élaboré qui englobe : (i) des représentants de tous les segments de la population, (ii) un engagement en faveur d’un processus de paix à plus long terme et iii) la mise en place d’un mécanisme de suivi indépendant pour veiller à ce que le processus de paix réponde aux besoins des personnes.

***

En savoir plus